Pendant la période de la Libération de Reims, nous avons publié, au jour le jour, des extraits du journal de Maurice Houlon (1881 – 1966) et de Berthe Brunessaux (1887-1963) et quelques extrait d’Henri Druart (1902/1979). Nous avons réuni sur cette page toute cette période pour faciliter les recherches.
Avant-Propos
« Journal de grand-père » mai à novembre 1944
Le « Journal de grand-père » est un journal manuscrit, personnel, rédigé par mon grand-père Maurice Houlon (1881-1966) sur une longue période démarrant en 1939 pour s’achever en 1963. Ce journal d’une famille rémoise, pour partie en temps de guerre, constitue aujourd’hui un témoignage intime de ce que furent en particulier les années d’Occupation durant la 2ème guerre mondiale à Reims.
J’ai engagé ce travail de déchiffrage puis de transcription sur ordinateur en 2020 afin d’en faciliter la compréhension, d’en souligner la chronologie particulièrement entre 1939 et 1945, et réaliser un document agrémenté de notes bibliographiques pour une diffusion réservée strictement aux membres des familles Houlon et Robillot. Avec leur accord, deux exemplaires sont déposés à la Bibliothèque Carnegie.
A la demande de Véronique Valette, présidente de l’association « Reims Avant » j’accepte qu’un extrait de ce journal relatif à la Libération de la ville de Reims, expurgé de toute connotation trop personnelle, soit diffusé dans leur publication. La période concernée s’étend du mois de mai au mois de novembre 1944.
–– Benoit HOULON
Journal de Berthe Brunessaux, ma grand-mère
Berthe Brunessaux s’était réfugiée pendant toute la durée de la guerre dans son pays d’origine, Ivoy-le-Pré, dans le Cher, en compagnie de l’une de ses filles, Jeanne-Marie Brunet, dite Janny, dont l’époux Maurice était retenu prisonnier en Allemagne tout au long du conflit. Elle était également accompagnée de sa petite-fille Agnès, née en 1939, et de la belle-mère de Jeanne-Marie, Fernande Millet, qui décéda avant le retour de son fils en 1945.
Durant cette période, Berthe retranscrivit les lettres de ses enfants, notamment celles de Jacqueline et Marcel Bourquin, ainsi que de son fils Jacques, restés à Reims, et la correspondance de sa plus jeune fille, Françoise Guéritault, demeurée à Châtellerault.
— Véronique Valette
J’ai également ajouté de cours extraits du journal d’Henri Druart et une lettre très intéressant que nous a adressé Emmanuel GUERCHAIS retrouvé dans ses documents familiaux.
Nuit du 7 au 8 mai 1944
Dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, il gèle à -7°, tous les fraisiers sont cuits. Le 9 mai, il gèle à -5°. De fin avril à début mai, Carteret reçoit de 23 à 25 bombes de 250 kg, les vitraux de l’église sont brisés, la villa la Fourmi est écrasée.
Berthe Brunessaux
Lundi 8 mai 1944 – Le bombardement de Salbris
Cette nuit fut une initiation, pour la plupart des habitants d’Ivoy qui n’entendirent jusqu’ici que les coups lointains et sourds
Vers minuit 1/2, toutes les portes et les fenêtres se mirent à trembler violemment et l’on aperçut très nettement et fortement, de nombreux éclatements. Beaucoup de personnes se levèrent et montèrent vers le Patroyat d’où l’on voyait un horizon bombardé comme un coucher de soleil. Quand le bombardement cessa, de très forts éclatements continuèrent, d’heure en heure. Bombes à retardement, pensions-nous. Tous nous crûmes que c’était Vierzon.
Je ne me levai pas, mais combien je me rapprochai de l’angoisse de tous les pauvres humains menacés dans le monde entier combien je me sentais plus proche de mes enfants de Reims, surtout de Reims qui sera sans doute encore visé
J’apprends que ce n’est pas Vierzon mais Salbris qui a été atteint. Les enfants de M. Boureux téléphonèrent de bonne heure pour supplier leurs parents de venir les chercher en auto, les petits-enfants étant toujours sous la terreur de cette nuit affreuse. Quelques heures après je pus parler à la jeune femme : le camp de Salbris a été très touché, des munitions nombreuses ont sauté, mais le plus important, une poudrière très bétonnée, très préservée, n’a pas été atteinte et sûrement le bombardement recommencera La maison du placement d’enfants où est Solange Meunier pour laquelle je m’inquiète beaucoup, n’a pas été touchée m’assure-t-on.
Les bombardements s’intensifient à un rythme accéléré. La Roumanie, Bucarest et la triste richesse si envié, et si peu enviable, des régions pétrolifères de Ploestr, constamment pilonnés. En France, non seulement les gares, mais les ponts sont visés et démolis. On se demande ce qui peu bien rester du Pas-de-Calais Les Anglais, m’a-t-on dit, commencent à donner leurs directives pour le débarquement que certains croient imminent. N’aurait-il pas lieu le 10 mai, en réponse au 10 mai 1940 où furent déclenchées les premières vraies hostilités de la guerre
Un observateur détaché, sans corps vulnérable, sans cœur accessible à l’angoisse, noterait avec intérêt cette lutte passionnée qui se livre en France même entre dissidence et collaboration. Les dissidents, réfractaires n’ayant pas voulu partir en Allemagne et tenant le maquis (que de maquis dans notre France pourtant sillonnée de routes, et si claire !), se groupent, armés et ravitaillés par les Alliés, et opposent une résistance acharnée aux forces de la milice et même aux Allemands. Nombreux morts dans les deux camps. Que n’apprendra-t-on pas plus tard sur l’horreur de cette guerre civile ?
Par la radio, les ondes portent appels et terribles menaces. Chaque jour, tous les policiers miliciens, magistrats, fonctionnaires servant le gouvernement de Vichy sont voués au dernier châtiment par la dissidence. Chaque jour, Philippe Henriot parle avec autant de force et de conviction que le camp adverse pour soutenir le gouvernement attaqué et lutter et appeler toutes les forces à la lutte contre le bolchevisme dont, à son avis, le triomphe des Alliés serait le triomphe.
Le comité de libération d’Alger vient de condamner à mort, et d’exécuter, Christofini qui fut le fondateur, en Afrique, de la légion africaine luttant aux cotés des Allemands. Vichy a promis des représailles sur les otages qu’il vient de faire arrêter. Alger promet, en représailles nouvelles d’autres exécutions si des exécutions de représailles ont lieu C’est atroce
L’Angleterre et l’Amérique viennent d’obtenir après bien des négociations, et sans nul doute bien des menaçantes pressions, que les neutres ne livrent plus de matériaux de guerre à l’Allemagne. La Turquie a cédé. L’Espagne vient de s’incliner la rage au cœur certainement
Et malgré cette concession, les Alliés signalent comme « Criminel de guerre » le commandant des légions espagnoles qui allèrent combattre contre les Russes. Les Russes alliés des Espagnols rouges de la guerre civile de 1936. Or, le commandant est actuellement aide de camp de France, chef de l’Espagne, lui-même vainqueur des Rouges. Il y a eu 1 an le 7 mai que les troues italo-allemandes durent quitter l’Afrique.
Berthe Brunessaux
Jeudi 11 mai 1944
Le 10 mai s’est passé sans amener le débarquement. Certains, très rares, doutent encore de sa possibilité. D’autres, les plus nombreux, pensent que les Alliés ne peuvent pas laisser les Russes terminer la guerre. Et Sébastopol est tombé hier, après un assaut de 3 jours. La Crimée est entièrement libre d’Allemands.
Berthe Brunessaux
Mercredi 17 mai 1944
La vie à Reims devient pénible en raison des alertes constantes, parfois 5 dans la journée et 1 ou 2 la nuit. Malgré l’habitude, cela est d’abord très désorganisateur de la vie économique car tous les ateliers, usines, magasins doivent fermer. Le gaz est coupé à chaque alerte et n’est rendu qu’une demi-heure plus tard. Courcy et son atelier de réparation, son aérodrome sont souvent bombardés.
Ces bombardements continuent à un rythme accéléré sur toute la France, le nord surtout.
Que de victimes à Lille, très souvent visé. Je pense à Jeanne Poret, ma cousine religieuse là-bas. Les archevêques et cardinaux de France ont adressé au clergé anglo-américain un message le suppliant d’essayer d’adoucir le sort des malheureuses populations civiles décimées par l’aviation, et de considérer quelles haines cela fomente pour l’avenir, entre nations, même quand la paix sera venue. La radio alliée répond que ce n’est pas de gaieté de cœur que ces décisions sont prises, que les objectifs donnés aux pilotes sont mûrement décidés, que les précautions sont prises autant qu’il se peut, et que récemment une escadrille de bombardiers revint de Belgique avec toute sa charge, la visibilité n’étant pas assez favorable.
Une grande offensive est déclenchée en Italie depuis 4 jours environ et progresse un peu. Surtout dans le secteur occupé par les troupes françaises. Il y aura, disent les uns, plusieurs offensives de ce genre avant la grande attaque contre ce qu’on appelle la forteresse Europe.
Berthe Brunessaux
Mardi 23 mai 1944
Après un calme plat de plusieurs jours m’écrit Jacqueline, Reims a encore été bombardé, et comme sa lettre est antérieure, je ne puis rien savoir. C’est samedi dernier 20 mai, en même temps d’ailleurs que 13 gares et 8 aérodromes. Partout des morts en grand nombre : 79 à Tours, une centaine à Orléans, autant au Mans, et toujours dans le Nord, Cambrai, Pas-de-Calais. Les bombes à retardement empêchent le sauvetage de beaucoup de malheureux qu’on pourrait peut-être encore délivrer. C’est affreux !
L’offensive Alliée en Italie aurait dépassé la ligne Gustave et atteint la ligne Hitler Les combats sont très durs, les Français y participent.
Il y a quelques jours des camions chargés de soldats allemands armés ont traversé Ivoy après avoir parcouru les bois de la Chapelote où il y avait, dit-on, des réfractaires. Un discours d’un ministre anglais vient, une fois de plus, d’affirmer que l’intégrité de la France et même de son Empire serait respectée. Je le note. Qui vivra verra !
Berthe Brunessaux
Mercredi 24 mai 1944
Lettre de Jacqueline qui me parle de ce bombardement de samedi dernier à Reims qui heureusement n’a pas fait de victimes, le quartier dangereux ayant été complètement évacué. Mais c’est bien impressionnant à entendre me dit-elle Marcel doit passer la plus grande partie de la semaine à Paris pour affaires. Elle voudrait bien qu’il soit revenu. Moi aussi. Aujourd’hui, nouveau bombardement du Mans et d’Orléans où le chiffre des victimes atteint maintenant plusieurs centaines La banlieue de Paris est visée aussi. Mme Beurlet n’a pu avoir pour Paris, ni téléphone, ni télégramme.
Berthe Brunessaux
Dimanche 28 mai 1944
A Reims, les industries n’ont le droit qu’à 16 heures d’électricité pour tout le mois de mai. Et il faut payer les ouvriers comme si les machines tournaient.
Berthe Brunessaux
Mardi 30 mai 1944
30 mai : Au cours d’un bombardement américain visant le dépôt de tramways avenue de Laon où se trouvaient quantité de camions allemands, Yvonne B. infirmière réfugiée avec une quarantaine d’enfants dans une cave, près de la place Luton, trouve la mort ainsi que les enfants, une bombe étant tombée en plein sur la maison. C’est encore un gros chagrin pour ma pauvre sœur Marie-Louise.
Maurice Houlon
Pentecôte
Reçu hier très longue lettre de Jacqueline qui, ne pouvant rien faire pendant les alertes en profite pour m’écrire. Et, comme les alertes sont longues et nombreuses, ce sont de petits journaux que je reçois, bien émouvant par leur actualité tourmentée. Une petite bombe de combat est tombée en face chez elle (rue Eugène Desteuque) et a mis toute la rue en émoi. Dans plusieurs maisons les éclats ont fait dans les carreaux des trous gros comme de petites orange. Une personne qui ouvrait imprudemment sa fenêtre à ce moment là a reçu un petit éclat au-dessus de la poitrine. Il se livre des combats d’avions au-dessus des nuages. Ainsi vu par la D.C.A, il y a souvent des blessés, le plus fréquemment par imprudence, il faut s’éloigner surtout des fenêtres, des terrasses, des verrières. Jacqueline attendait anxieusement le retour de Marcel, d’autant plus que plusieurs trains avaient été mitraillés.
Berthe Brunessaux
Jeudi 1er juin 1944
Hier matin, la radio, cette haïssable radio qu’il faut pourtant bien écouter, annonçait que Reims avait été bombardé et qu’il y avait une cinquantaine de morts…
…Enfin, à 3 h 1/4, c’était Jacqueline que j’entendais et qui me rassurait vite sur le sort de tous les miens…
Mais quels malheurs j’appris : la mort, par ce bombardement d’Yvonne Bonnard… La pauvre Yvonne était infirmière dans un centre de jeunesse place Luton, bien loin pourtant de la gare de triage et c’est là qu’elle fut tuée. Jacqueline me dit que le bombardement fut beaucoup plus sérieux cette fois, et bien moins précis.
Berthe Brunessaux
Samedi 3 juin 1944
J’ai reçu ce matin une longue lettre de Jacqueline commencée à écrire lundi, me disant que le jour de la Pentecôte s’était passé sans alertes, mais que partout on disait que la T.S.F. anglaise avertissait (sans doute dans l’étrange langage des messages personnels) que Reims serait bombardé le lendemain. Or, à part une alerte de 20 minutes, le soir à 19 h ce jour se passa bien. Mais mardi à 10 h 30, alerte et, comme souvent, Jacqueline en profita pour continuer sa lettre. Puis elle s’arrête : 11 h 10. Les voilà Et reprend plus tard : « Cette fois-ci, cela fut bien plus sérieux. On vit arriver 29 avions dont 9 bombardiers. Nous étions dans notre cave tous les 5 (Elle, les 2 enfants, la bonne, la femme de ménage) serrés contre les murs, nous bouchant les oreilles de toutes nos forces pour ne pas entendre les chapelets de bombes à 11 h 15, c’était fini »
La lettre continue par un dernier petit mot :
« 13 h 30, Marcel vient d’aller voir les dégâts, beaucoup plus graves cette fois : une bombe sur l’école professionnelle de la rue Jolicoeur, heureusement évacuée. Le dépôt des trams, avenue de Laon, complètement détruit. Dégâts place Luton »
Berthe Brunessaux
Mardi 6 juin 1944
6 juin 1944 : Enfin ! les Anglais débarquent vers huit heures sur la côte normande à l’embouchure de la Vire, de la Dive et de l’Orne.
Maurice Houlon
A midi nous écoutons toutes les radios et voici leur résumé : « Ce matin, entre 6 h et 8 h 15, après une formidable préparation d’artillerie par mer et par airs, les premières troupes alliées ont débarqué près du Hâvre, ce pendant que des parachutistes amenés par d’énormes avions remorquant des planeurs chargés de troupes sont descendus à l’arrière des premières lignes allemandes.
Churchill annonce au monde qu’une flotte de 4000 bâtiments, aidée par des milliers de navires plus petits, participe au débarquement, aidée par plus de 11.000 avions.
22 heures : Londres raconte que, entre minuit et 7 h ce matin, 7 500 vols d’avions ne rencontrèrent pas un vol allemand. Qu’entre minuit et 8 h, 10.000 tonnes de bombes furent lancées sur les objectifs des côtes. Que 31.000 aviateurs prirent part à ces opérations et jusqu’à midi ne rencontrèrent qu’une cinquantaine d’avions allemands, que seuls deux appareils alliés ne rentrèrent pas.
24 heures : De Gaulle a par radio parlé aux Français. Lui aussi prévoit de dures semaines mais assure de la libération. Le Maréchal Pétain adresse un message au peuple français et l’adjure de rester discipliné et obéissant aux ordres qui leur sont donnés par le gouvernement ou les armées d’occupation.
Berthe Brunessaux
Mercredi 7 juin 1944
7 juin : Nous quittons Reims pour Nogent par camion vers 17 H
Maurice Houlon
Jeudi 8 juin 1944
De Gaulle a par radio parlé aux Français. Lui aussi prévoit de dures semaines mais assure de la libération. Le Maréchal Pétain adresse un message au peuple français et l’adjure de rester discipliné et obéissant aux ordres qui leur sont donnés par le gouvernement ou les armées d’occupation….
…Il paraît certain que le téléphone doit être dès aujourd’hui supprimé, non seulement d’un département à l’autre, mais d’un pays à l’autre….
…Et, si j’entends parler d’un bombardement à Reims ou ? À Châtellerault je ne pourrai plus être renseignée par téléphone et peut-être plus par lettre Que vont faire mes enfants de Reims ? à Châtellerault, ils sont un peu en dehors et plus en sûreté du moins je l’espère.
Berthe Brunessaux
Lundi 12 juin 1944
Curieux interview du Général de Gaulle donné à la radio anglaise : Que pensez-vous du débarquement ? Voici à peu près le sens de la réponse :
« L’opération proprement dite du débarquement qui fut de très grande envergure, a été parfaitement réussie, pour le reste on verra plus tard En attendant, courage et calme »
Le Général s’étonne des proclamations du Général Eisenhower au peuple français qui place les pays libérés sous l’administration militaire des Alliés
« Ceci est inacceptable pour nous », dit-il. « Il est malheureux qu’aucun véritable accord ne soit fait en ce sens entre les gouvernements alliés et nous. Tout comme il est fâcheux qu’on parle d’une monnaie nouvelle sans notre pleine acceptation ».
Puis il conclut en disant : « La France se bat aux cotés de ses alliés, elle contribue à la guerre de toutes ses possibilités, mais c’est en pleine souveraineté qu’elle veut faire cette guerre et plus tard la paix ».
Berthe Brunessaux
Samedi 24 juin 1944
Jacqueline m’écrit le 19 juin, m’apprend qu’il y a eu 300 arrestations à Reims dans tous les milieux dont un de leurs amis et sa femme. De plus toute la municipalité, maire en tête, et un avocat très en vue, et le procureur, et Mg l’Archevêque lui-même qui aurait pourtant été laissé dans son archevêché, prisonnier sur parole. Tous sont à Châlons-sur-Marne, otages qui doivent sans doute répondre de la tranquillité de la ville, jusqu’ici pourtant bien calme. Mais aucune crainte n’arrêtera sans doute l’action des dissidents que la radio anglaise exalte à chaque émission, tandis que celle de Vichy les condamne, en exaltant, elle, la milice chargée de les combattre. Car il y a des combats réels, sérieux, atroces entre Français.
Malgré son ton volontairement enjoué, la lettre de Jacqueline m’a bien serré le cœur, avec ses attristantes nouvelles. Tous les Rémois de 25 à 60 ans doivent aller chacun une semaine déblayer et remblayer l’aérodrome de Courcy et le dépôt de chemin de fer. Ils sont 600 à la fois 600 exposés aux bombardements qui visent souvent ces mêmes lieux.
Berthe Brunessaux
Samedi 8 juillet 1944
Samedi : j’ai des nouvelles de Reims. Cette attaque des voies ferrées de notre ville, nommée incidemment avec d’autres, a fait encore 50 morts et cette fois les bombes sont tombées dans le centre Je m’étais si bien raisonnée que je ne croyais pas à une telle tristesse d’autant plus que la T.S.F n’en avait pas reparlé.
Enfin, mes enfants ont eu bien peur, mais sont indemnes ! Les plus récentes nouvelles datent du 3 juillet, téléphonées aux Rocher par un Monsieur Abelé qui venait de Reims, et qui avait été prié de le faire par Jacqueline. J’attends la lettre que celle-ci a dû m’écrire pourtant dès le bombardement du 22 Triste collection et bien émouvante que celle de ces lettres que je reçois ainsi de mes pauvres enfants qui, de Reims à Châtellerault n’ont rien à s’envier.
Berthe Brunessaux
Lundi 17 juillet 1944
17 juillet : On part en bande cueillir des framboises au lieu-dit « la mer rouge » dans la forêt.
Cueillette troublée par un violent bombardement aérien du tunnel de Rilly par les forteresses volantes, pluie de shrapnels, deux bombes tombent en lisière de la forêt à « la Noël ». Enfin, retour à la maison avec les enfants apeurés et pleurant !
Maurice Houlon
Mercredi 19 juillet 1944
Le 12, j’ai reçu trois lettres de Jacqueline, une de Françoise, deux de Lucie. J’ai enfin des détails sur le bombardement de Reims. Il se passa dans la nuit du 23. Déjà, la veille, plusieurs bombes étaient tombées sur Clairmarais (quartier de l’usine), sur le buffet de la gare etc. A 1 h du matin le lendemain, l’alerte fut donnée en même temps qu’étaient lancées les premières fusées, sans avoir le temps de prendre, ni papiers, ni mallette, enfilant simplement un peignoir ou un manteau, Marcel, Jacqueline et les enfants se sauvaient de chez eux et, à peine avaient-ils tourné le coin du café proche que la première bombe tombait sur le monument aux morts de la place du Boulingrin. Une première cave, sur leur chemin, était fermée, Jacqueline perdait ses chaussons, les ramassa et les garda à la main pour courir nu-pieds. Michel pris de panique, ne voulait plus avancer. Enfin, ils arrivèrent parmi les premiers dans une cave rue Courmeaux et y passèrent dans l’angoisse les 20 minutes que dura ce bombardement qui atteignit non seulement la gare de triage et l’avenue de Laon, mais aussi le quartier Cérès rue Croix St Marc. En tout, encore plus de 50 morts ce qui doit faire non loin de 140 en 4 bombardements. Par l’horreur ressentie, mes enfants imaginent ce que cela peut être dans les villes qui sont en vedette dans le triste palmarès Marseille, plus de 2000 morts en une seule fois, St Étienne, Lyon, Rouen si souvent atteint, Orléans, le Mans, constamment visé, Tours, La val, Amiens et tant d’autres
En remontant, mes enfants courent téléphoner à Jacques : celui-ci avec sa petite famille, dangereusement logés près de la gare et trop près du canal pour avoir de bonnes caves, a dû fuir par les rues pour s’éloigner le plus possible. Ils ont ainsi atteint l’angle des rues Chabaud et Libergier, tout près de notre maison, et là, dans la rue ont dû attendre les 20 minutes-siècles qu’a duré ce cauchemar. Mes pauvres enfants c’est cette détresse sans abri, qui émerge le plus de mes soucis Sans abri ? Mais celui des caves de champagne auxquelles se fient les Rémois qui, comptant sur elles, préfèrent rester en ville plutôt que d’affronter les dangers de la route, ces caves de champagne sont-elles un refuge si sûr ?…
…Jacqueline qui avait de réelles possibilités d’approvisionnement par un camarade de captivité de Maurice, agriculteur à Brienne sur Aisne, n’ose pas faire les 20 km qui l’en séparent. Pourtant le besoin les pressant, Marcel et Pierre-Marie Rollero s’y seront peut être risqués le 14 juillet. J’ai beaucoup pensé à eux ce jour là et voudrais bien déjà avoir une lettre relatant leur expédition.
Berthe Brunessaux
Dimanche 30 juillet 1944
Reçu lettres de Jacqueline et de Françoise, enfin ! Reims est très souvent en alerte. Le temps se passe à courir aux caves et des caves au ravitaillement. Michel a très peur, c’est de tous, le plus ému par ces événements et se couche souvent le soir tout habillé, persuadé qu’il y aura bombardement.
Ses parents caressent le doux espoir d’aller se reposer quelques jours dans les Ardennes, où, faute d’expédition possible, laitage et œufs abonderaient. Mais les Ardennes dit la radio, sont le théâtre de combats de guérilla et l’on sait ce que cela veut dire !
Berthe Brunessaux
Lundi 31 juillet 1944
31 juillet : Récidive de bombardiers qui reviennent en fin de journée arroser le tunnel Villers, Rilly. Gros vacarme de D.C.A. il pleut de la mitraille ! Et une heure après ce bombardement, on pouvait entendre les explosions d’engins à retardement. Des bombes de 6 tonnes furent lancées et à chaque explosion, la Cossonnière frémissait.
Maurice Houlon
Mardi 1er et mercredi 2 août 1944
1er – 2 août : Nouvelle attaque du tunnel, une bombe de 6 tonnes tombe à une trentaine de mètres du Moulin, la toiture est soufflée, la maison est inhabitable. Lors de la chute de l’engin, M. et Mme S. étaient dans la cave et sont sortis indemnes. L’entonnoir formé
par la bombe, pouvait mesurer 45 m de diamètre et 15 de profondeur ! M. et Mme S. sont évacués vers Reims par les moyens de la défense passive.
Maurice Houlon
Jeudi 3 août 1944
3 août : Les américains libèrent Rennes et Dol de Bretagne, le 4 août ils sont à 30 km de Nantes. Lorient et Brest sont menacés.
Maurice Houlon
Samedi 5 août 1944
5 août : Des éléments avancés américains sont à Brest, l’aviation alliée bombarde le port.
Maurice Houlon
Mardi 8 août 1944
8 août 1944 :
Vers 15 h 30, nouveau bombardement du tunnel de Rilly-la-Montagene par des chasseurs bombardiers, gros vacarme ! Alors que j’étais au 1er dans ma chambre, un petit obus de de 37 mm est venu éclater sur le mur entre la fenêtre du salon et la remise.
Maurice Houlon
Vendredi 11 août 1944
11 août : Les Alliés traversent la Loire à Nantes et poussent à 15 km vers le sud. A Dinard, combats acharnés.
Maurice Houlon
La radio anglaise ne cesse de parler des nombreux prisonniers faits en Bretagne et des redditions volontaires. Pourtant elle avoue que la garnison allemande de Brest que l’on avait sommée de se rendre a refusé…
…Pourtant aussi, cette avance, que certains ont tendance à s’imaginer rapide et aisée comme une promenade militaire, rencontre une farouche résistance, surtout en Normandie. Mortain que les Anglais avaient dite reconquise pour la 3ème fois et définitivement, a été reprise, une 4ème par les Allemands.
Malgré cela, la vague d’espérance court, s’enfle, déferle, grossie de tous les bobards qu’elle roule aussi bien que des vérités…
…Le ravitaillement de Paris est de plus en plus impossible, avec les routes et ponts coupés, les camions qui circulaient encore et que nous chargions de provisions pour nos familles ne viendront sans doute plus. Mais nul ne paraît s’en inquiéter, puisque dans quelques jours, ils seront à Paris !!!
Est-ce spécifiquement français ? Ou est-ce simplement humain ? Pour moi je tiens mes illusions dans une cage bien close. J’ai trop peur des espoirs déçus.
Berthe Brunessaux
Samedi 12 août 1944
12 août : Prise de Mortain par les troupes alliées, la ville a changé de mains plusieurs fois. Le G.Q.G. (Grand Quartier Général) boche de Paris se replie sur Metz. Les administrations boches quittent Reims pour Nancy.
Maurice Houlon
Mercredi 16 août 1944
C’est le mercredi 16 août que les premiers convois automobiles allemands battant en retraite ont commencé à traverser la ville de Reims arrivant par l’avenue de Paris, empruntant toute la rue de Vesle, la rue Cérès et se dirigeant vers Rethel ou Vouziers.
L’on vit d’abord passer le matériel de l’organisation Todt, des services administratifs venant surtout de Paris et un nombre plutôt étonnant de camions et de voitures portant les insignes de la Croix-Rouge.
Le rythme et la densité de ces convois augmentèrent sans arrêt les jours suivants ; de nombreux véhicules stationnaient à Reims, sous les promenades, le long des boulevards menant vers l’extérieur de la ville, abrités sous les plantations d’arbres.
Les convois qui se reposaient de jour, repartaient de nuit ; on eut rapidement l’impression d’une retraite importante faisant prévoir un ordre de repli à peu près général.
Les services administratifs de Reims partirent à leur tour, principalement les femmes.
Henri Druart
Jeudi 17 août 1944
17 août : Les camions allemands défilent à grande allure bondés de malles, valises, caisses en tous genres, Les américains libèrent Orléans puis Chartes, Dreux. De fréquentes pannes d’électricité nous privent de nouvelles par radio. Des avions alliés mitraillent les camions sur la route sans distinction.
Maurice Houlon
Je profite de deux pages blanches oubliées dans mon cahier pour noter, par curiosité, quelques-uns uns de ces fameux messages personnels radiodiffusés par Londres et qui, paraît-il, sont des instructions très importantes pour ceux de la résistance, Il sera curieux de les traduire si, après la guerre, la clef en est révélée.
- Charly embrasse Madame Antoine deux fois.
- Vaudel nage 25 fois dans le lac ce soir vers 23 h 10.
- Éclairez bien, n’oubliez pas la lettre Pierre, prévenez nos amis.
- De Pélican à la Tortue : 14 amis viendront ce soir manger de la carotte.
- Le bocage est en feu
- L’oiseau séduira le paysan
- 3 amis se rendront au rendez-vous indiqué par vous ce soir avec 3 voitures.
- La cocarde de Mimi Pinson sera prête ce soir.
- Théodore cherche des allumettes. 4 fois.
- Le papillon s’est envolé.
- Il est muré comme un cadavre.
- Ali-Baba était un chevalier.
- St Linéri fonde Naples (message très souvent entendu !)
- La vertu réduit à tous les yeux.
- Il nage comme un fer à repasser.
- La danseuse nue se déshabillera.
- De la chouette au merle blanc : la danseuse nue se déshabillera ce soir.
- Le jockey a un maillot rayé.
- L’orvet est lisse.
- Ceci est mon testament.
- Notre espoir est en vous deux fois. Nous disons notre espoir est en vous deux fois.
- Ça pousse mais ça ne grandit pas.
- Deux amis vous visiteront ce soir pour voir si ça pousse.
- La course en taxi coûtait 5 francs, 2 fois.
Très souvent, ces messages sont ainsi complétés d’un chiffre, 2 fois, 3 fois, 5 fois et appuyés des mots nous « disons » avant d’être répétés.
Il y a aussi des messages uniquement formés de prénoms comme lorsqu’on lit une dépêche au téléphone : Édouard, David, etc. stop etc. Pour les amateurs curieux de déchiffrage, je note un de ces messages :
David, Édouard , Jean, Pierre, Simone, Louis, Pierre, Quasimodo, Yvonne, Édouard, André, Pierre, Henri, Victor, Raoul, Zéphirin.
Je ne note plus que les initiales des prénoms déjà cités :
A. Bernard, L. Urbain, U. J. S. Q. Xavier, Octave, Kleber, Nicolas, V. J. J. François. R. E. William, Marcel, H, U, D (?) N. L. Georges. V. B. D. C. M. C. Théodore. Et ici le speaker se reprit en disant : Je reprends le dernier mot : D. E. I. P. S.
Naturellement nous n’y comprenons absolument rien et je ne note que par curiosité !
Berthe Brunessaux
Vendredi 18 août 1944
18 août : On dit les américains à 36 km de Paris.
Maurice Houlon
Les troupes alliées accélèrent leur progression en direction de la Seine, le 18 août 1944. Alors qu’elles avancent avec détermination, les Allemands qui composent l’arrière-garde des troupes sous la coordination du général Hauser profitent de la nuit pour se replier sur la rive est de l’Orne. Ils ont trouvé une brèche dans le dispositif allié et ils s’y engouffrent.
A Chambois entre Falaise et Argentan, des régiments qui composent le 2e corps canadien, venant du nord, rejoignent des unités du 15e corps de la IIIe armée du général Patton et ferment l’espace par lequel s’est effectué la retraite de la VIIe armée ennemie et de quelques éléments de la Ve armée blindée allemande.
Le maréchal von Kluge qui a été démis de ses fonctions la veille et remplacé par le maréchal Model ne supporte pas l’humiliation que lui a faite le Führer et il met fin à ses jours. Comme il était aussi impliqué dans l’attentat raté du 20 juillet précédent contre Hitler il évite les tribunaux. Dans une lettre qu’il adresse au maître du IIIe Reich il écrit : « Je ne sais si le maréchal Model sera en mesure de rétablir la situation. Je l’espère de tout cœur. Mais, s’il en était autrement et si les nouvelles armes en lesquelles tant d’espoirs sont mis, ne mènent pas au succès, alors mon Führer, prends la décision de mettre fin à la guerre. Le peuple allemand a souffert de maux si indicibles qu’il est temps maintenant d’en finir avec ces horreurs ».
L’histoire en rafale.18 aout 1944 von kluge met fin à ses jours Hervé Chabaud
La radio de 21 h 1/2 n’a pas caché qu’on se battait aux abords de Paris Où sont ces abords ? Le front normand se déplace en faveur des Alliers. Vendôme est pris par les F.F.I ainsi que Guéret, St Malo s’est enfin rendu. René Payot, directeur du journal de Genève, dont les causeries chaque vendredi à 20 h 1/2 sont très suivies, a parlé naturellement des 2 fronts français, de la résistance allemande qui fléchit et qui n’aurait d’ailleurs dans le midi qu’une dizaine de divisions…
… A 10 h, le pays d’Ivoy a été deux fois traversé par une camionnette filant à toute allure, occupée par les maquisards aux mitraillettes toutes braquées sur l’avant, l’arrière et les côtés.
Ces maquisards reçoivent toutes les nuits du ravitaillement de toutes sortes par les airs, notamment du linge, des chaussettes, des savons, du chocolat, des bonbons. J’ai eu entre les mains le papier qui enveloppait un de ceux-ci, imprimé en anglais. La nuit, ces jeunes ne dorment guère, car il leur faut aller deux par deux à la recherche des objets ainsi descendus.
Berthe Brunessaux
Samedi 19 août 1944
19 août : On se bat à Versailles
Maurice Houlon
Pendant ce temps dans la région
C’est le mercredi 16 août que les premiers convois automobiles allemands battant en retraite ont commencé à traverser la ville de Reims arrivant par l’avenue de Paris, empruntant toute la rue de Vesle, la rue Cérès et se dirigeant vers Rethel ou Vouziers.
L’on vit d’abord passer le matériel de l’organisation Todt, des services administratifs venant surtout de Paris et un nombre plutôt étonnant de camions et de voitures portant les insignes de la Croix-Rouge.
Le rythme et la densité de ces convois augmentèrent sans arrêt les jours suivants ; de nombreux véhicules stationnaient à Reims, sous les promenades, le long des boulevards menant vers l’extérieur de la ville, abrités sous les plantations d’arbres.
Les convois qui se reposaient de jour, repartaient de nuit ; on eut rapidement l’impression d’une retraite importante faisant prévoir un ordre de repli à peu près général.
Les services administratifs de Reims partirent à leur tour, principalement les femmes.
Henri Druart
Mercredi 23 août 1944
23 août : On dit les américains à Sézanne, Montmirail, ils avancent sur Troyes (Aube 10). Les
Raisinelles sont sur le point d’être expulsées de leur appartement. Les F.F.I. se battent dans
Paris, place de la Bastille, bonne nouvelle !
Maurice Houlon
Ivoy-le-Pré : Hier, les jeunes gens des maquis ont décidé de remettre le clocher à l’heure française, ce qui fut fait immédiatement. Et comme le courant nous manquait depuis 3 jours un communiqué a été affiché par leurs soins, résumant les nouvelles du jour et devait continuer ainsi tous les soirs. Mais la radio nous a été rendue hier soir avec la lumière. Les Alliés ont franchi la Seine et se dirigeraient vers la plaine des anciens champs de bataille de la Somme. Les colonnes américaines descendent rapidement par le centre de la France (officieusement on les dit à Cosne). Et enfin, Londres qui gardait le secret jusqu’ici, annonce que d’autres colonnes, celles qui ont franchi la Loire à Nantes, sont parvenues à Angoulême sans rencontrer beaucoup de résistance. Paris est complètement investi, le Général Koenig en a été nommé gouverneur. On se bat place de la République et Boulevard Bonne-Nouvelle avec de nombreux tués et blessés de part et d’autre
Dans le Midi, Aix-en-Provence est occupée par les Alliés qui ont doublé les territoires de leur tête-de-pont s’avançant par endroits à 96 km dans les terres. On se bat dans Toulon et à petite distance de Marseille.
Florence est libérée, bien que des combats avaient encore lieu dans le nord de la ville. Dans quel état retrouvera-t-on cette ville jadis merveilleuse ?
Midi : Paris est libéré !
Pierre Beurlet et Jacotte arrivent en trombe nous annoncer cette formidable nouvelle : Paris est libéré ! Après 4 jours de combats, par les forces de la résistance. Tout le monde se communique la nouvelle qu’on commente, jusqu’au prochain bulletin d’informations transmis à 2 h 1/2 par la radio avec des détails que voici : Samedi dernier 19 août, les forces des FFI et le comité du gouvernement provisoire ont donné l’ordre du soulèvement général. Cinquante mille patriotes armés et des centaines de mille non armés s’unirent. La police parisienne, déjà en grève prit d’assaut la préfecture de police et l’île de la Cité et en fit un bastion de la résistance. Tous les monuments publics furent peu à peu occupés. Enfin, depuis hier les FFI sont maîtresses de Paris. Le Général Koenig donne l’ordre aux Parisiens de respecter les stocks de vivres, assurant que le principal souci du gouvernement, après ces extraordinaires privations imposées aux Parisiens, était de les faire cesser. Mais il faudrait encore plusieurs jours pendant lesquels il est fait appel au calme et au patriotisme de tous.
En même temps, on apprend que, du Midi, certaines troupes alliées ont, par la route Napoléon, occupé Grenoble. Treize départements français ont été, par la résistance, entièrement libérés. Un bulletin ce matin, annonçait un débarquement à Bordeaux, dont ne reparle pas pourtant celui de 2 h. Ayant occupé Sens, les Alliés se dirigent vers Troyes, Nancy
On nous fait entendre, de New-York, les hourras de la foule américaine en apprenant la libération de la capitale de la France. Plus tard, et bien que les V1 aient encore causé des ravages en Angleterre, toutes les cloches de Londres sonnent sur le demande de la population.
Berthe Brunessaux
Vers le 23 août, une menace sembla se préciser ; celle d’une résistance organisée sur la Marne, dans le Soisonnais et peut-être même sur la montagne de Reims ; le bruit courait que des batteries s’étaient mises en position le long de la Marne, mais ce qui était le plus caractéristique, c’était l’installation à Reims de plusieurs États-majors dans les grands immeubles du Boulevard Lundy. Des généraux et leur suite circulaient en ville dans des autos impressionnantes ; des lignes téléphoniques étaient installées dans tout un quartier, des immeubles réquisitionnés de toute urgence, des chevaux de frise mis en place dans le quartier des Cordeliers devenu une véritable forteresse ; deux fantasias d’une quarantaine d’avions de chasse, une le matin et l’autre l’après-midi du 24 août, correspondaient certainement à une revue aérienne destinée à donner l’impression de la force aérienne allemande.
Henri Druart
Vendredi 25 août 1944
25 août : Paris est libéré ainsi que Marseille par les F.F.I. La Roumanie accepte les propositions de paix de la Russie. Alors que j’étais à Reims, un combat d’avions a lieu au-dessus de Nogent et tout tranquillement Lucie et sa mère,Mémé, admirent le combat dans le jardin sans songer un seul instant au danger d’une rafale de mitrailleuse ! Trois allemands sont descendus, Philippe rapporte à la Cossonnière une partie d’avion en aluminium. Le Général de Gaulle se rend à Notre-Dame de Paris pour le Te Deum, des galeries supérieures à l’intérieur de la cathédrale, des rafales de mitraillettes sont tirées.
Maurice Houlon
Vendredi 25 août 1944, Les autres nouvelles sont bonnes, Marseille est libéré sans trop de résistance, mais les combats sont acharnés encore dans Toulon. Annecy est délivré et les Alliés sont arrivés à la frontière suisse. Bordeaux est occupé par les FFI et les Alliés. (On ne parle pas de débarquement ?) Evreux et Verneuil sont libérés, mais Lisieux est toujours dans la bataille. Une nouvelle poche d’encerclement se forme autour de ce qui a pu échapper de la 7ème armée allemande. Sens, libérée, est déjà dépassée de 24 km et l’on marche vers Troyes. On parle aussi de Meaux. Les Allemands vont-ils se reformer sur la formidable ligne de défense qu’ils ont préparée dans le Soissonnais ?
Je note comme typique de notre douloureuse époque ces avis donnés hier soir par radio :
Aux habitants de l’Hérault : deux colonnes allemandes, sans doute les dernières que vous verrez se dirigent vers vous, pillant et brûlant tout sur leur passage. Prenez tous dispositifs et précautions.
Aux habitants de Valence – Drôme : On annonce le prochain passage chez vous d’une armée allemande qui s’est rendue coupable d’atrocités dans le Vercors. Son chef en sera rendu responsable. Tâchez de le prendre absolument, mort ou vif.
J’imagine que les gens de ces deux pays n’ont guère dû dormir cette nuit et cela peut se passer ainsi dans toute la France et dans combien de nations L’Italie notamment qui a aussi ses patriotes qui combattent derrière les lignes allemandes Et tous les Balkans !
10 heures du soir
Nous avons appris ce soir que les troupes du Général Leclerc sont entrées dans Paris hier soir 24 août à 22 h et que les Alliés, arrivés par les portes d’Orléans et de Versailles ont franchi ce matin à 8 h 30 le pont St Michel
On se battrait encore dans certains quartiers notamment le Luxembourg (je pense encore plus à Solange !) Mais toutes les cloches de Paris, invitées par celles de Notre-Dame ont sonné et l’on demande aux Parisiens de pavoiser tant qu’ils le pourront et s’ils n’ont pas assez de drapeaux, d’orner leurs façades avec des tapis Enfin, ce soir à 7 h, le Général de Gaulle a été reçu à l’Hôtel de Ville !
Au début de notre dîner, Jacqueline Beurlet est venue en trombe nous annoncer que la radio venait de dire, en toute dernière heure que le commandant allemand de Paris se serait rendu au Général Leclerc. Mais toutes les diffusions écoutées depuis n’en font aucunement mention. Pourtant le dernier message anglais affirme avec force : aucun Allemand n’est plus maintenant dans Paris que prisonnier ou mort !
J’essaye de m’imaginer dès maintenant le récit de ces jours terribles et magnifiques que me feront Lucie et Gaston Pourvu qu’ils les aient passés sans dommages Toutes nos pauvres joies sont assombries par des craintes. Et rassurés à peine pour les uns, nous craignons pour les autres. Bien que détruit, le poste de Radio-Paris fonctionne à nouveau, si faiblement encore qu’il est relayé par Londres, mais sera vite rendu à l’écoute sous le nom de Radio diffusion de la Nation française. Car il n’y a plus d’État français Il y a la Nation.. et ce soir, de Gaulle a crié : Vive la France, Vive la République !
Les Alliés sont entrés dans Lyon, Annecy. La Suisse annonce ce soir que, vu les événements elle procède à de nouvelles levées de troupes. Craint-elle de servir de passage aux Alliés vers l’Allemagne ?
Ce soir, le courant électrique, retiré à 10 h 1/4, vient de nous être rendu à 11 h. C’est là une chose qui ne nous est pas arrivée depuis longtemps.
Berthe Brunessaux
Des rumeurs tendaient à faire croire que les FFI entreraient rapidement en action, ce qui ne manquait pas d’alarmer la population, attendu que l’on estimait les forces allemandes cantonnées en ville à 20 ou 25 000 hommes. Dans le but d’impressionner la Résistance, les Allemands installaient des canons antichars, Place Royale, Esplanade Cérès. Bref, tout le monde s’attendait à une grande bagarre et chacun prenait des précautions pour trouver un abri dans les caves de champagne, constituer des provisions pour un siège, quand subitement , le samedi 26, on s »aperçut que le quartier des Cordeliers avait été évacué dans la nuit et que les États-majors avaient quitté la ville.
Henri Druart
Dimanche 27 août 1944
Dimanche 27 août : On a pu entendre hier confirmation de l’Armistice conclu entre le général Allemand et le Général Leclerc à la gare Montparnasse, stipulant que les armés et munitions devaient être rendues intactes. Les prisonniers allemands défilent dans les rues de Paris. Les tireurs isolés qui continuent à tirer seront considérés comme francs-tireurs et fusillés.
Paris brillamment illuminé, a chanté et dansé toute la nuit Le bruit des acclamations de la foule était tel qu’il couvrait celui des chars blindés. Les ovations faites à de Gaulle et à Leclec furent formidables.
Les prisonniers politiques ont tous été libérés. Pourvu que la joie étouffe la haine et qu’on n’aille pas maintenant laisser les vengeances personnelles remplir à leur tour les prisons
La 7ème armée, ce qu’il en reste du moins, repart vers la Belgique. Troyes est pris par les Alliés. Iront-ils vers Reims ? et alors dans quelles conditions sera délivré notre pauvre pays.
Berthe Brunessaux
Les défilés des convois, qui s’étaient ralentis depuis deux ou trois jours, reprirent avec une intensité véritablement incroyable et du matériel de guerre défila de jour et de nuit, souvent sur deux rangs à travers la ville les 26 et 27 août.
Henri Druart
Lundi 28 août 1944
28 août : De Nogent, on perçoit le bruit du canon ! Une centaine de camions allemands descendent la route de Dormans et se dirigent sur Sermiers. Le matin, trois boches sur side-car arrivent aux Cossons (bâtiments de ferme des L.) pénètrent dans la ferme mitraillette au poing, et font le tour de la ferme, ils découvrent la porcherie, y pénètrent, s’emparent du Jean, bel individu, qu’ils chargent sur leur sidecar, maintenant ils sont 4 ! Et cela à la barbe de toute la famille, impuissante !
Le soir, la débandade continue, les boches défilent à pied, en vélo, en charrette. Un paysan d’un village voisin ayant refusé de donner son vélo, est abattu ! Dans la soirée, trois retardataires arrivent aux Cossons et menacent de leur mitraillette Julien et Denise, Françoise court au château pour voir le capitaine qui parle français. Mais celui-ci est parti, c’est alors Mme M. qui parle la langue teutonne qui descend à la ferme et parvient à faire entendre raison aux boches auxquels on donne à dîner et qui repartent avec la carriole et le cheval volés à M. R. Et à l’horizon, s’allument quantité d’incendies, sans doute les boches détruisent-ils les dépôts d’essence et de carburants. Et dans la nuit, c’est un défilé ininterrompu de fuyards à pied avec chevaux, charrettes, vélos.
Maurice Houlon
Mardi 29 août 1944
Vers 4 H du matin, une violente détonation nous réveille et secoue fortement la maison comme elle ne l’a jamais été. Une heure plus tard, une seconde détonation se fait entendre. Reims est secoué par de violentes explosions qui proviennent de la gare où des wagons chargés d’explosifs, sautent. Un désastre a été évité grâce au sang-froid de
trois personnes de la S.N.C.F. dont M. L. qui, se trouvant dans la gare, sont parvenus à décrocher quelques wagons chargés de dynamite et d’obus qui étaient menacés par le feu, et qui auraient causés de gros dégâts dans le quartier s’ils avaient explosé. Les secousses ressenties à Nogent le 29 août devaient provenir de l’explosion des usines de Combe plaine dont il nereste plus que la carcasse métallique. Au réveil, on perçoit plus nettement le son du canon et il pleut. Le canon tonne dans la direction d’Épernay et de la vallée de l’Ardre. Philippe et Jacques R. étant allés au petit Fleury reviennent avec tout un
chargement d’objets de toutes sortes, abandonnés par les fuyards : 2 sacs à dos, un ceinturon tout neuf, des boites de singe,etc… Toute la maisonnée est un peu énervée, enfin vers 14 H 30 le calme est complet. Dans la journée du 28 août on apprenait que les allemands raflaient tous les vélos, Jean démonte le sien et le camoufle sur le plancher à foin dans la grange, je place le mien dans le tas de foin de la grange, l’appareil de T.S.F. est rangé aussi et n’ayant pas de courant depuis le 28 au matin, plus de communiqués. On est complètement isolés. Vers 16 H, étant dans le jardin près du noyer, j’entendais depuis un moment le bruit d’un roulement de camion dans le lointain et bientôt, en regardant dans la direction de la forêt, j’aperçois sur la route de Nanteuil, dévalant la pente, des camions recouverts d’une étoffe rouge orange phosphorescent à l’arrière, et j’entends crier, ce
sont les américains ! C’est alors la course en direction du monument aux morts pour aller à leur rencontre. C’est à ce carrefour que nous voyons arriver les premiers camions qui passent et se dirigent vers Sermiers pour gagner Cernay. Le convoi est survolé par une demi-douzaine de petits avions (Piper L4H). Tout Nogent accourt et bientôt aussi les gens
de Chamery. C’est un délire ! On sert les mains des américains qui distribuent cigarettes, chocolats, bonbons, on leur donne du raisin, du Champagne, des pommes. Et ce défilé dure jusque vers 23 H. il n’y a plus un allemand à Reims. Les ponts sont détruits. On ne se doutait pas en entendant le canon vers midi qu’il y avait de pauvres gens qui mourraient atteints par la mitraille. A Champlat il y eut une dizaine de tués civils.
Maurice Houlon
A la suite de ces incidents, le Général Rolle donne l’ordre d’abattre immédiatement tout membre des organisations telles que P.P.F., Francistes, légion des Volontaires contre le bolchevisme, etc. qui résisterait N’importe qui pourra se targuer de cet ordre pour tuer
n’importe qui….
… 9 heures : les Anglais et les Français viennent de traverser Ivoy dans une voiture conduite intérieure occupée par 5 Anglais et suivie de 4 chenillettes chargées de Français. Ils nous ont dit venir de Briare et nous assurent que dans une dizaine de jours la région sera entièrement libérée. Ils distribuent aux enfants bonbons et chocolat Ce dernier surtout, épais, magnifique, suscite toutes les admirations. Peu de temps après, une autre voiture d’Anglais est en panne au Patroyat. Jany parle avec l’un d’eux qui pense que dans deux ou trois semaines nous verront beaucoup de ses compatriotes.
Les nouvelles continuent à être bonnes. Londres annonce que les Alliés ont passé la Marne à Château-Thierry Pourvu que la libération définitive de Reims se passe sans batailles.
Mais, même libérée, la ville qui pourrait bien se trouver à l’arrière de grandes batailles, sera bombardée par les Allemands. A moins que ceux-ci dont les positions s’écroulent partout, ne mettent bas les armes avant
Berthe Brunessaux
La journée du mardi 29 fut remplie de rumeurs : tout le monde savait que les FFI entreraient en action à partir de 17 heures. Des premiers coups de feu eurent lieu dans le courant de l’après-midi et durèrent jusqu’au petit jour. De nombreuses explosions avaient eu lieu toute la journée, couronnées à 9 heures 30 du soir par une explosion formidable, celle du pont de Vesle dont la rupture supprimaient la voie d’accès normale à Reims par le Sud.
Néanmoins, on s’était rendu compte depuis le lundi 28 qu’il n’y aurait pas de résistance allemande sérieuse et lesc esprits étaient beaucoup plus calmes.
Henri Druard
Mercredi 30 août 1944 Reims est libérée
Le défilé du convoi reprend vers 7 H suivant le même itinéraire que la veille, je vais à la messe à Chamery à 9 H et en revenant je rencontre un convoi se dirigeant vers Écueil, Sacy, etc. On est coupé avec Reims, pas un habitué n’est venu. En quittant Reims, les boches font sauter le pont de Vesle sur le canal et le pont de Soissons. Il subsistait aux abattoirs un groupe de miliciens et des allemands au foyer rémois.
Maurice Houlon
Reims est atteinte et dépassée.
Cette avance rapide, prodigieuse même, dit la radio, fait présumer qu’elle se réalise sans beaucoup de résistance. Mais, il faut si peu de chose pour détruire une maison, un bonheur, une vie Et ce sont neuf vies si chères que j’ai, là-bas, pour lesquelles je tremble et me réjouis à la fois, dans une ferveur que les mots seraient bien impuissants à décrire. Comment cette libération s’est-elle opérée ? Où étaient mes enfants ? Jacqueline et les petits sont-ils restés à Neufchâtel où revenus chez eux Et les voilà définitivement libérés ? De tout danger ?
Seize heure : On apprend à l’instant qu’à la suite d’une avance de 60 km en 48 heures, Amiens a été occupé par les Alliés. Les Canadiens sont à Rouen ! Enfin, Reims a été de beaucoup dépassé, l’avance atteint Vitry-le-François et Saint-Dizier.
Jacqueline m’écrit : Ici, à Reims, ce fut littéralement miraculeux ! Après 5 ou 6 jours d’angoisse, d’énervement porté au paroxysme ! Que de canons braqués aux alentours de la maison, à la poste, rue Cérès, Boulevard de la Paix, dans notre propre rue. Puis nous les avons tous vu filer les uns après les autres et le 29 août à 17 h, couvre feu Atmosphère électrisée, un peu de fusillade, beaucoup d’explosion, canon au loin, qui se rapproche très fortement vers 9 h du soir. A 9 h 30 écoutons Sottens qui dit les Américains aux portes de Reims. Allons coucher rue Cérès. Nuit sans émotions, puis, à 7 h du matin le 30, sommes réveillés par des cris : » Les voilà, ils sont au théâtre ! Tout le monde en chemise paraît aux fenêtres et effectivement sur des tanks imposants, tranquillement ils arrivaient sous des ovations délirantes et sans plus de grabuge. Quelques coups de feu bien sûr, mais dans les faubourgs où quelques Allemands tenaient encore. En 1/4 d’heure Reims était pavoisé superbement et toutes les Françaises dans les bras (très accueillants) des Américains. Il faut reconnaître qu’ils sont très sympathiques et que malgré les ovations dont ils devraient être blasés, ils sont toujours souriants et prêts à un geste amical !
Marcel m’a écrit : il attribue l’heureuse libération de Reims à ce que leurs FFI bien encadrés et se rendant compte de la situation, se sont tenus calmes, faisant passer le salut de la ville et de ses habitants avant la gloriole de porter fusil ou brassard visible (ne voulant pas rééditer les erreurs de Paris ?).
Il m’annonce aussi la nomination du Docteur Billard comme maire de Pierre Schneiter comme sous-préfet. Hélas ! Il m’apprend que le frère de ce dernier, André, échappé par une audace extrême aux Allemands qui voulaient l’arrêter chez lui, en décembre/janvier dernier a été repris par eux et a été fusillé !
Et Marcel ajoute, avec son sens merveilleux de l’amitié :
« Pauvre garçon que j’aimais bien ! je l’avais rencontré fin mai dans un train allemand et il m’avait donné des conseils pour éviter de graves ennuis à la femme d’un autre ami mort également tragiquement, lui, sous les coups de la résistance, parce que ses convictions anti-bolchevistes l’avaient entraîné dans les rangs de P. P. F. Tous deux, opposés dans leurs idées, avaient un grand idéal et dans mon cœur, je les place sur le même plan mais combien d’autres pensent autrement et le plus malheureux parmi ceux qui, en paroles, prêchent la charité alors qu’ils n’ont au fond d’eux-mêmes que de la haine Quand je regarde autour de moi, quand j’entends certaines opinions, je constate que les yeux ne servent à rien à ceux dont le cerveau seul commande quand je vois la foule marcher vers le gouffre avec une folle euphorie, je bénis les Américains, je souhaite leur occupation pendant des lustres et je me tais. »
Pourtant, mon cher Marcel dont la sensibilité vibre à l’unisson de la mienne, ne peut s’empêcher de stigmatiser les horribles coupes de cheveux des femmes ! certaines coupables, d’autres innocentes, presque toutes victimes de rancunes ou de jalousies dénonciatrices Même pour les femmes de prisonniers, Marcel, comme moi souhaitait le pardon :
Sans compter que certains maris ignorant tout et qu’après 4 ans de guerre auraient peut-être été si heureux de ramasser, même dans le ruisseau, les miettes d’un bonheur perdu
Et je sens Marcel, devant ces excès et tant d’autres injustices, souffrant comme moi, de cette passion qui nous est commune : celle de la justice Il me parle d’arrestations lamentables et termine :
Trêves d’idées noires dans ces jours de liesse, vivons égoïstement au jour le jour et savourons à l’avance la joie que nous allons dispenser à notre ventre en brûlant nos cartes de pain.
Berthe Brunessaux
Le mercredi 30 vers 7 heures du matin, on entendit les premiers chars américains rouler Place du Parvis, Place du Théâtre, rue de Vesle, Cours Langlet ; la foule se répandit immédiatement dans les rues et, à partir de ce moment, les unités motorisées ne cessèrent d’affluer.
Il n’y avait eu de résistance sérieuse qu’au Pont Huon, pont sur la canal vers Châlons, par lequel les chars américains arrivés la veille au soir durent passer, le pnt de Vesle étant sauté, et au Pont de Laon. Quelques Américains ainsi que quelques FFI furent tués.
Les derniers Allemands avaient quitté les alentours du pont de Vesle ce mercredi à 6 heures du matin.
Les dégâts se réduisent à la destruction du pont de Vesle, à celle du pont du chemin de fer de la ligne de Reims à Paris, au-dessus du canal (Pont de Soissons), à celle du Poste principal de signalisation de la gare de Reims. D’autres destructions partielles, la gare de voyageurs et quelques locaux grenadés par les Allemands avant leur départ se révèlent peu à peu.
En fin de compte, la libération de Reims s’est faite « sans mal ni douleur », notre ville ayant eu la chance d’être enveloppée par le Nord-Ouest et le Nord-Est au poit que les allemands n’avaient plus d’autre solution que de se retirer sans tenter aucune résistance; à moins d’être promptement débordés et encerclés. »
Henri Druart
Vendredi 1er septembre 1944
1er septembre 1944 : Je vais à Reims, les routes sont calmes, Reims a son aspect de jour de fête d’avant-guerre. Les Yankees se mêlent à la foule, les rues sont encombrées de Jeep et de camions américains qui circulent à une allure rapide. Un camion dans lequel jeunes gens et
jeunes filles ont pris place, passe sur la place Subé, ils chantent la Marseillaise à pleins poumons. L’après-midi, je me rends 9 rue de la Grue à l’appartement, après un coup d’œil rapide, tout semble être là et en place, je constate cependant l’absence de la causeuse en velours blanc qui, du reste, devait déjà manquer lors de l’inventaire dressé avec M. R. du cabinet d’architecture de la ville. Le vieux coffre à bois dans l’entrée n’y est plus ! Je constate une fuite d’eau dans les W.C, la cuvette est pleine d’une matière noirâtre et se trouve bouchée, l’eau recouvre le sol et gagne la salle de bains. Je signale le fait à Mme B. Dans la cour se trouve un amoncellement de papiers, de correspondances, de paquets que les allemands ont brulé avant de filer,mais l’extinction a été faite et la cour est pleine de papiers !
Les américains sont venus visiter l’immeuble et ont donné ordre de laisser tout en l’état où ils ont trouvé les lieux. Il pourrait se faire qu’il y ait encore réquisition pour loger des officiers ! Il faut attendre ! Les troupes Alliées ne sont qu’à 80 km de la frontière franco-allemande.
Maurice Houlon
Dimanche 17 septembre 1944
17 septembre : Les enfants rencontrent deux soldats américains Noirs, ils parlent avec eux, il est convenu qu’ils viendront le soir à la Cossonnière.
Maurice Houlon
Cette journée qui doit être la grande journée de fête de la libération de notre coin de terre a commencé sous le signe de la haine. Au réveil, plusieurs habitants eurent la désagréable surprise de voir peintes sur leur seuil ou leurs murs de grosses croix gammées, ou les lettres M. N. signifiant marché noir. Parfois ces lettres étaient suivies d’un point d’interrogation laissant à ces « accusés » d’un nouveau genre, le bénéfice du doute.
Tout cela, dessiné au goudron et presque indélébile fut immédiatement effacé par tous les moyens : peinture, ou enlèvement radical du crépi du mur. Mais les langues allèrent leur train et les soupçons aussi qui risquent, vu l’excitation générale, de tomber à faux.
Nouvelle surenchère de fiel de bile ! Et vomissement du pus qui empoisonne en ce moment toute la France. Car, la même chose a été faite à la Chapelle, dans divers endroits et n’est point réservée sans doute à la région ! Que pourrait-on bien encore trouver pour jeter les gens les uns contre les autres ?
N’aurait-on pourtant pu espérer que, l’ennemi parti, on allait faire cesser les causes de discorde
Berthe Brunessaux
Lundi 18 septembre 1944
18 septembre : En effet, un peu après 18 H, ils arrivent mais au lieu d’être deux, ils sont quatre, on s’installe dans le salon, on parle. A 21 H ils étaient encore là et nous n’avions pas diné !
Bref ! Renée part à la cuisine et rapporte la soupe sur la table dans la salle à manger et nous faussons compagnie à nos visiteurs pour passer à table. Pendant le diner, les enfants font de fréquentes sorties pour aller retrouver les américains ! Enfin, après avoir joué aux cartes, ils se sont retirés vers 22 H 30. Enfin ! Depuis 1939, La Cossonnière aura vu des officiers français, des soldats allemands, et des soldats américains. Ces quatre Noirs sont natifs de la Floride ce qui n’est pas tout près d’ici. Ils ont débarqué en Angleterre à Dorchester et ensuite ont débarqué à Cherbourg où ils durent bousculer les lignes allemandes, et se frayer un passage au moyen de leur petit couteau au bout de leur petit fusil. Puis ils ont progressé vers Caen, Evreux, Paris, Reims, et Nogent où ils campent sous la tente en bordure de la forêt. Ils sont au repos pour 3 mois.
Maurice Houlon
Mardi 19 septembre 1944
19 septembre : Mme L. vient déjeuner à Nogent. Après-midi, tous nous prenons la route de Nanteuil et à l’entrée de la forêt là où commence la route forestière nous trouvons nos soldats qui nous attendaient, on les invite à venir diner mercredi soir. Le matin, je vais aux champignons, bonne récolte de blancs ! Un peu plus tard, j’y retourne avec Michel et le Baron
(Dominique R.), nous rapportons un plein panier de mousserons. La première armée américaine est à 40 km de Cologne.
Maurice Houlon
Mardi 19 septembre 1944. Je viens d’avoir la joie immense d’avoir des nouvelles de tous mes enfants et ma main tremble comme mes larmes ont coulé alors que dans l’angoisse de l’attente, mes yeux étaient restés secs J’ai tant craint et redouté pour eux, imaginé le pire que maintenant mon cœur semble se fondre, alors que jusqu’ici il tenait bon.
Berthe Brunessaux
Dimanche 1 octobre 1944
1er octobre : Nous rentrons à Reims. On fait déposer une grande partie de nos affaires rue de la Grue. Le 4 octobre, après avoir commencé le nettoyage de l’appartement devenu inoccupé, nous prenons notre premier repas. Chaque jour, au moyen d’une petite voiture à bras, prêtée par Mme M. je transportais différents objets de la rue des Capucins
Maurice Houlon
Dimanche 1er octobre 1944 :
L’avance alliée subit un temps d’arrêt. Les Allemands mettent toutes leurs forces à empêcher l’accès dans leur pays. En France, la région de Belfort est âprement disputée, Château-Salins, Epinal, Lunéville ont changé de mains plusieurs fois. Nancy qu’on disait délivrée depuis longtemps l’est-elle définitivement ?
En Hollande, la situation des troupes aéroportées a été tragique et il y eût un recul du côté de Nimègue. Dans un discours au Parlement, Churchill a regretté que tant de personnes aient pu croire la guerre si tôt finie et pense qu’il faudra peut-être encore les premiers mois de l’an prochain pour la terminer
J’ai reçu par Pierre Beurlet venant de Paris une lettre de Lucie. Elle qui ne me parlait dans ses deux dernières missives que de la joie de la libération, de sourire sur toutes les lèvres et d’espérance radieuse, me dit maintenant :
Le recul de Nimègue, l’augmentation des salaires et l’anéantissement complet des affaires rendent tout le monde très perplexe. Le vent qui souffle est froid
J’interroge Pierre Beurlet : « Oui, me dit-il, on se rend compte maintenant de la couleur de la propagande : rouge, très rouge ! Au point de vue économique les soucis sont grands. Une commission américaine d’étude se renseignant partout, notamment dans les banques a dit à mon beau-frère que les cargos sont construits à un rythme accéléré, chargés de marchandises qui vont venir faire baisser le coût de la vie beaucoup trop cher en France »
Arme à deux tranchants car, cette production américaine, déversée en masse sur le marché, va affaiblir, sinon tuer les industries françaises, d’où chômeurs, d’où révolution à redouter, pas plus logique d’ailleurs que la colère d’un enfant qui brise ses propres jouets Révolution ! Par ce mot les hommes croient avoir tout dit. Sous Pétain, on parlait de révolution nationale, maintenant on nous dit « Révolution par la loi ».
Le rôle du gouvernement doit être extrêmement difficile. Il lui faut contenir, tout en lui donnant des gages, ce communisme qui a grandi pendant les années de clandestinité, et à eu ses martyrs qui furent eux aussi une semence de nouveaux adeptes…
… Il est certain que nous sommes à un tournant décisif du monde. Il faut rebâtir sur un plan nouveau, avec de nouveaux matériaux.
Berthe Brunessaux
Jeudi 5 octobre 1944
5 octobre 1944 : Nous comptions coucher rue de la Grue ! Mais voilà ! Les américains étaient à Reims et l’après-midi, un envoyé du cabinet d’architecture de la mairie venait nous avertir que les américains avaient besoin de la place ! Et qu’il fallait faire place nette pour le lundi 9 octobre à midi. C’est alors que nous nous décidons à aller voir, Renée et moi, le Lord Mayer à Town Hall (mairie) pour lui expliquer qu’il nous met sur le pavé avec 50 m 3 de mobilier !
Impossible à l’heure actuelle de trouver un appartement. C’est alors qu’il m’envoie à la mairie demander de me communiquer la liste des appartements réquisitionnés par les américains. Je vais donc voir P. qui en effet me soumet une liste comportant quatorze appartements mais sur ce nombre, il y en avait un seul de libre car les autres devaient être occupés par des prisonniers de retour … Je m’en fus donc voir cet unique logement situé Cours Langlet, l’emplacement ne me déçut pas et quand j’eu visité l’appartement je m’empressais de donner une réponse positive. Il fallait maintenant trouver le déménageur mais le samedi ces messieurs ne travaillaient pas, il fallait donc attendre lundi matin. Je m’en fus donc trouver W. pour lui demander de me dépanner. Une équipe était envoyée aussitôt rue de la Grue et mardi soir tout le mobilier était Cours Langlet !
Maurice Houlon
Vendredi 6 octobre 1944
Reims, le 6 octobre 1944
Mon Grand Jacques, Depuis ton message du 24 décembre dernier, daté de Dakar, nous n’avons reçu aucune nouvelle de toi : tu peux penser si nous sommes anxieux d’en recevoir.
Un renseignement puisé au Ministère de la Marine nous informe que désigné pour suivre des cours en Angleterre, tu dois t’y trouver actuellement. C’est pourquoi à tout hasard je t’envoie ce mot dans l’espoir qu’il te parviendra, grâce à l’extrême obligeance d’un officier d’infanterie coloniale, qui se rend par avion en Angleterre, et qui ne désespère pas de te la faire parvenir, bien que nous ne connaissons pas ton adresse.
Que d’événements et de malheurs depuis tes vacances passées en France. Tu as dû apprendre, par le message que nous t’avons envoyé aussitôt, la mort de notre petite Denyse, tuée au bombardement de Reims par l’aviation américaine le 30 mai dernier dans un abri avec 30 autres personnes dans le quartier de l’avenue de Laon, où elle se trouvait à ce moment comme élève de la Croix Rouge avec quatre autres de ses compagnes.
Le bombardement a eu lieu vers 11 heures du matin et ce n’est qu’à 5 heures du soir que son corps a pu être dégagé : tu peux penser le calvaire que nous avons subi pendant ces terribles heures d’angoisse et quel coup d’assommoir pour tous Elle était si gaie, si vivante, elle savait si bien dominer ses peines et son chagrin de voir se prolonger la captivité de Pierre, dont elle préparait la réception à son retour dans les moindres détails. 15 jours avant sa mort, Annette et Yves avaient eu la douleur de perdre le petit Alain, 15 mois, en quelques heures, à la suite d’une opération de hernie, opération banale pour laquelle aucune complication n’était prévisible.
Les deux corps ont été conduits au cimetière de l’Est, auprès de leur grand père et où il reste, dans le caveau, une place réservée naturellement à grand-mère. Mr et Mme Michel, de Morlaix, Melle Anne, de Rennes sont venus à Reims pour assister aux obsèques de notre pauvre Denyse, l’arrêt subit des communications ferroviaires les a maintenus à Reims jusqu’à ces jours derniers où ils ont pu repartir enfin sur un camion de ravitaillement jusqu’à Paris; nous avons appris indirectement qu’ils avaient pu ensuite arriver à Rennes, et nous espérons dans quelques jours être renseignés sur la fin de leur voyage, car Annette et Yves, profitant de l’occasion d’une voiture, sont partis hier pour la Bretagne se rendre compte de la situation à Morlaix et à Carantec, nous laissant ainsi qu’à Colette le soin de nous occuper de leurs six gosses.
Faut-il te dire aussi que 15 jours après la disparation de Denyse, Annette atteinte de septicémie, nous donnait de grandes inquiétudes, heureusement qu’une transfusion du sang, pratiquée de suite, la mettait hors de danger; et pour compléter la série noire le jour même où elle se relevait, Yves qui s’était rendu à la Cathédrale, pour assister à une messe dite pour sa belle-sœur, était arrêté dans la rue par les Allemands et conduit avec une vingtaine de personnalités, à la prison de Chalons, où il ne fut détenu que 3 semaines alors que la plupart furent dirigés sur l’Allemagne, et dont on est sans nouvelles. Pas de nouvelles récentes de Saint Brieuc, mais il t’est possible de leur écrire, puisque cette région peut correspondre librement avec l’Angleterre.
Nous avons aucune inquiétude à leur sujet, et nous savons que la ville a été délivrée sans combat. Comme à Reims d’ailleurs, où tout laissait croire à une résistance, alors que le départ des allemands n’a été marqué par la destruction du grand pont de la rue de Vesle, et celui du chemin de fer près de la rue Tarbé, dont l’explosion a causé quelques dégâts aux deux immeubles de grand-mère.
Pour finir: grand-mère est toujours en bonne santé, ainsi que la famille Michel petits et grands, et que Colette, toujours si active et si dévouée. Quant à ta mère, je voudrais bien en dire autant : la mort de Denyse l’a bien éprouvée et elle n’arrive pas à surmonter son chagrin, malgré les médecins, son état ne s’améliore pas et j’en suis désespéré. En ce qui me concerne, je suis presque honteux, après avoir été sérieusement malade il y a 18 mois, de dire que je me porte bien.
Et toi, nous feras-tu la surprise de venir nous montrer à Reims que tu te portes bien aussi.
Correspondance personnelle de Marcel Grossel, 6 octobre 1944.
Merci à Emmaneul Guerchais pour ce partage.
Dimanche 22 octobre 1944
22 octobre : W. (garde-meubles) déménage la rue des Capucins*.
Maurice Houlon
*W désigne surement la société (Henri) Walbaum, transporteur, déménageur et garde-meuble.
Paul Cabanis
Mercredi 1 novembre 1944
Toussaint 1944 – Ce jour est consacré, par toute la France, à la mémoire des fusillés par les Allemands. Deux jours plus douloureusement funèbres que toutes les « Toussaint » du passé. Aux peines de chacun s’ajoute l’innombrable souffrance de toute la malheureuse humanité……On nous laisse bien entendre, à la radio, que la guerre pourrait bien n’être finie qu’après les premiers mois de l’été 1945 Que nous
sommes loin des illusions nées après la foudroyante campagne de France.
Pourtant, les Alliés avancent vers l’Escaut, en Hollande et les Russes ne sont plus qu’à 40 km de Budapest
Berthe Brunessaux
Mardi 7 novembre 1944
7 novembre : On apprend que J. et C. ont retenu leurs places dans le train pour Reims le 10 novembre à 22H20 et doivent arriver le 11 à 1 H56, mais le 9 novembre vers 16H les voyageurs font irruption Cours Langlet ayant eu l’occasion d’un camion que T. S. avait à sa disposition pour le ravitaillement de son groupe. Stupéfaction de tous en les voyant arriver tous les trois et surtout de grand-mère Lucie qui ayant passé son après-midi chez Claude le coiffeur, n’était rentrée à la maison qu’à 20H30 et Renée qui rentrait à peine de 21H30. J. doit repartir le dimanche, quant à C. elle prolongera son séjour. Renée a rencontré le frère Valentin qui lui a donné des précisions sur l’incident du couvent de la Vicomté lors de la Libération. On se battait dans le secteur du couvent aux environs duquel se trouvaient des F.F.I. ! Les Pères étaient
réunis dans le chœur de la chapelle, ils récitaient « matines » lorsque soudain les allemands font irruption dans la chapelle et menacent de fusiller tous les capucins sous prétexte qu’ils n’auraient pas dû laisser pénétrer les F.F.I. dans l’enceinte du couvent ce qu’ils ignoraient totalement. Fort heureusement, le R.P. Robert rassembla tout ce qu’il savait encore de la langue teutonne ce qui lui permis de discuter avec l’officier qui commandait la bande et lui prouver que les Pères ignoraient totalement la présence des F.F.I. et en fin de compte sauver la vie à tous ces capucins présents non sans avoir subi quelques avanies.
Maurice Houlon
Samedi 11 novembre 1944
Pour la première fois depuis 1940, la France a pu célébrer l’anniversaire de l’Armistice de 1918. A Paris, cette journée a eu un éclat extraordinaire et combien émouvant ! Nous en avons suivi toutes les cérémonies diffusées par TSF, et nous étions là, toutes trois, impuissantes à retenir nos larmes Avec quelle surprise nous avons appris que Churchill et Eden (dont on avait annoncé puis démenti la venue) étaient arrivés hier après-midi, et qu’ils avaient défilé ce matin, à l’Arc de triomphe, entre le Général de Gaulle et le Général Koenig ! Qui a suggéré leur présence justement en ce 11 novembre ? C’est très habile, si c’est de Gaulle. Et c’est tout à l’honneur du premier Anglais d’avoir accepté. Les ovations de la foule étaient délirantes à leurs personnes et aux soldats qui défilèrent aussi : Britanniques, Écossais, Canadiens, Américains, Royal Air Force, troupes françaises, surtout fusillés marins. Le Général de Gaulle et
Churchill, après être allés saluer la tombe du soldat inconnu, firent à pied, côte à côte, 500 mètres au milieu d’une haie d’huissiers et de gardiens de la paix portant la fourragère rouge. Puis ils montèrent dans
une tribune, une autre tribune recevant Madame et Mademoiselle Churchill, cette dernière en uniforme. La foule voulait forcer les barrages de police Les hommes d’état anglais paraissaient réellement
très émus sous leur sourire et Churchill répondait inlassablement aux acclamations en agitant sa casquette. Les immeubles et l’avenue étaient bondés de monde et tout ce monde criait sa joie. Ce devait être un spectacle unique, inoubliable.La Radio Diffusion Nationale Française a donné ce matin une évocation très émouvante de l’Armistice de 1918. Ce soir, Lausanne nous l’a fait également revivre.En fin d’après midi, au Palais de Chaillot, le journal « Libération » avait organisé une magnifique et exaltante séance où l’on entendit, en vers et en prose, les principaux écrivains de la clandestinité, Charles
Vildrac, Max Jacob, cet extraordinaire poète juif converti au catholicisme ardemment pratiquant, ascète interné par les Allemands et mort de son internement. Puis des pages de St-Exupéry, mort lui aussi
mais dans la bataille de la libération, des poèmes de Jean Cassou, composés dans ses prisons, Aragon, une des grandes voix de la résistance, est venu lire un de ses plus beaux poèmes, composés en
l’honneur de deux jeunes fusillés, aux croyances religieuses opposées mais au même amour de la FranceCelui qui croyait au CielCelui qui n’y croyait pasLa rose et le résédaTout ce qui fut dit au cours de cette séance semblait animé d’un excellent esprit.Aujourd’hui, comme avant cette guerre, des porteurs de flambeaux, allumés à l’arc de triomphe sont allés, se relayant, jusqu’au carrefour de Rethondes, en forêt de Compiègne où fut signé l’Armistice de 1918, et où vient d’être remise la plaque qu’Hitler fit disparaître dès d’Armistice de 1940Il est bien peu de Français qui n’aient aujourd’hui communié à la ferveur de toute la France. Puisse cette ferveur épurée de la Haine destructrice savoir maintenant s’unir pour reconstruire. Oui, journée exaltante vraiment, mais différente du 11 novembre 1918. En ces temps là la guerre était vraiment finie, il n’y avait qu’un sentiment unanime autour de nos drapeaux victorieuxQuand viendra donc la Paix véritable, celle des armes et celle des âmes ? Les combats sont terriblement durs partout. Néanmoins le port d’Anvers a été libéré définitivement et, intact, va rendre les plus grands services. En Lorraine, une offensive a permis des gains et s’est approchée de Metz.Nancy, libérée depuis un moment pourtant ne connaît qu’une vie dangereuse, avec toutes les nuits dans les caves, bombardements, canon
etc.Dans les villages de ce front, on hisse le drapeau noir, signe de famine. Des enfants meurent littéralement de faim C’est atroce
Berthe Brunessaux
Mardi 14 novembre 1944
14 novembre 1944 : Winston Churchill vient à Reims incognito par train spécial affrété par Pierre Schneiter (57) et le soir la radio annonce qu’il est rentré à Londres !
Maurice Houlon
Samedi 25 novembre 1944
25 novembre : Pour célébrer la prise de Strasbourg par les troupes françaises, les deux bourdons de la cathédrale que l’on n’avait pas entendus depuis bien longtemps, se mirent à sonner en volée vers 18 H, c’était par un clair de lune magnifique ! C. qui était arrivée le 10 n0ovembre avec J. a repris le car ce matin à 6 H et regagnait Paris accompagnée de M. S. et du Révérend Père T !
Maurice Houlon