Le 12, j’ai reçu trois lettres de Jacqueline, une de Françoise, deux de Lucie. J’ai enfin des détails sur le bombardement de Reims. Il se passa dans la nuit du 23. Déjà, la veille, plusieurs bombes étaient tombées sur Clairmarais (quartier de l’usine), sur le buffet de la gare etc. A 1 h du matin le lendemain, l’alerte fut donnée en même temps qu’étaient lancées les premières fusées, sans avoir le temps de prendre, ni papiers, ni mallette, enfilant simplement un peignoir ou un manteau, Marcel, Jacqueline et les enfants se sauvaient de chez eux et, à peine avaient-ils tourné le coin du café proche que la première bombe tombait sur le monument aux morts de la place du Boulingrin. Une première cave, sur leur chemin, était fermée, Jacqueline perdait ses chaussons, les ramassa et les garda à la main pour courir nu-pieds. Michel pris de panique, ne voulait plus avancer. Enfin, ils arrivèrent parmi les premiers dans une cave rue Courmeaux et y passèrent dans l’angoisse les 20 minutes que dura ce bombardement qui atteignit non seulement la gare de triage et l’avenue de Laon, mais aussi le quartier Cérès rue Croix St Marc. En tout, encore plus de 50 morts ce qui doit faire non loin de 140 en 4 bombardements. Par l’horreur ressentie, mes enfants imaginent ce que cela peut être dans les villes qui sont en vedette dans le triste palmarès Marseille, plus de 2000 morts en une seule fois, St Étienne, Lyon, Rouen si souvent atteint, Orléans, le Mans, constamment visé, Tours, La val, Amiens et tant d’autres
En remontant, mes enfants courent téléphoner à Jacques : celui-ci avec sa petite famille, dangereusement logés près de la gare et trop près du canal pour avoir de bonnes caves, a dû fuir par les rues pour s’éloigner le plus possible. Ils ont ainsi atteint l’angle des rues Chabaud et Libergier, tout près de notre maison, et là, dans la rue ont dû attendre les 20 minutes-siècles qu’a duré ce cauchemar. Mes pauvres enfants c’est cette détresse sans abri, qui émerge le plus de mes soucis Sans abri ? Mais celui des caves de champagne auxquelles se fient les Rémois qui, comptant sur elles, préfèrent rester en ville plutôt que d’affronter les dangers de la route, ces caves de champagne sont-elles un refuge si sûr ?…
…Jacqueline qui avait de réelles possibilités d’approvisionnement par un camarade de captivité de Maurice, agriculteur à Brienne sur Aisne, n’ose pas faire les 20 km qui l’en séparent. Pourtant le besoin les pressant, Marcel et Pierre-Marie Rollero s’y seront peut être risqués le 14 juillet. J’ai beaucoup pensé à eux ce jour là et voudrais bien déjà avoir une lettre relatant leur expédition.
Berthe Brunessaux
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Pendant cette période de la Libération de Reims, nous allons publier, au jour le jour, des extraits du journal de Maurice Houlon (1881 – 1966) et de Berthe Brunessaux (1887-1963) : lire la présentation de Berthe Brunessaux et Maurice Houlon