Pour la première fois depuis 1940, la France a pu célébrer l’anniversaire de l’Armistice de 1918. A Paris, cette journée a eu un éclat extraordinaire et combien émouvant ! Nous en avons suivi toutes les cérémonies diffusées par TSF, et nous étions là, toutes trois, impuissantes à retenir nos larmes
Avec quelle surprise nous avons appris que Churchill et Eden (dont on avait annoncé puis démenti la venue) étaient arrivés hier après-midi, et qu’ils avaient défilé ce matin, à l’Arc de triomphe, entre le Général de Gaulle et le Général Koenig ! Qui a suggéré leur présence justement en ce 11 novembre ? C’est très habile, si c’est de Gaulle. Et c’est tout à l’honneur du premier Anglais d’avoir accepté. Les ovations de la foule étaient délirantes à leurs personnes et aux soldats qui défilèrent aussi : Britanniques, Écossais, Canadiens, Américains, Royal Air Force, troupes françaises, surtout fusillés marins. Le Général de Gaulle et Churchill, après être allés saluer la tombe du soldat inconnu, firent à pied, côte à côte, 500 mètres au milieu d’une haie d’huissiers et de gardiens de la paix portant la fourragère rouge. Puis ils montèrent dans une tribune, une autre tribune recevant Madame et Mademoiselle Churchill, cette dernière en uniforme. La foule voulait forcer les barrages de police Les hommes d’état anglais paraissaient réellement très émus sous leur sourire et Churchill répondait inlassablement aux acclamations en agitant sa casquette. Les immeubles et l’avenue étaient bondés de monde et tout ce monde criait sa joie. Ce devait être un spectacle unique, inoubliable.
La Radio Diffusion Nationale Française a donné ce matin une évocation très émouvante de l’Armistice de 1918. Ce soir, Lausanne nous l’a fait également revivre.
En fin d’après midi, au Palais de Chaillot, le journal « Libération » avait organisé une magnifique et exaltante séance où l’on entendit, en vers et en prose, les principaux écrivains de la clandestinité, Charles Vildrac, Max Jacob, cet extraordinaire poète juif converti au catholicisme ardemment pratiquant, ascète interné par les Allemands et mort de son internement. Puis des pages de St-Exupéry, mort lui aussi mais dans la bataille de la libération, des poèmes de Jean Cassou, composés dans ses prisons, Aragon, une des grandes voix de la résistance, est venu lire un de ses plus beaux poèmes, composés en l’honneur de deux jeunes fusillés, aux croyances religieuses opposées mais au même amour de la France
Celui qui croyait au Ciel
Celui qui n’y croyait pas
La rose et le résédaTout ce qui fut dit au cours de cette séance semblait animé d’un excellent esprit.
Aujourd’hui, comme avant cette guerre, des porteurs de flambeaux, allumés à l’arc de triomphe sont allés, se relayant, jusqu’au carrefour de Rethondes, en forêt de Compiègne où fut signé l’Armistice de 1918, et où vient d’être remise la plaque qu’Hitler fit disparaître dès d’Armistice de 1940
Il est bien peu de Français qui n’aient aujourd’hui communié à la ferveur de toute la France. Puisse cette ferveur épurée de la Haine destructrice savoir maintenant s’unir pour reconstruire. Oui, journée exaltante vraiment, mais différente du 11 novembre 1918. En ces temps là la guerre était vraiment finie, il n’y avait qu’un sentiment unanime autour de nos drapeaux victorieux
Quand viendra donc la Paix véritable, celle des armes et celle des âmes ?
Les combats sont terriblement durs partout. Néanmoins le port d’Anvers a été libéré définitivement et, intact, va rendre les plus grands services. En Lorraine, une offensive a permis des gains et s’est approchée de Metz.
Nancy, libérée depuis un moment pourtant ne connaît qu’une vie dangereuse, avec toutes les nuits dans les caves, bombardements, canon etc.
Dans les villages de ce front, on hisse le drapeau noir, signe de famine. Des enfants meurent littéralement de faim C’est atroce
Berthe Brunessaux
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Pendant cette période de la Libération de Reims, nous allons publier, au jour le jour, des extraits du journal de Maurice Houlon (1881 – 1966) et de Berthe Brunessaux (1887-1963) : lire la présentation de Berthe Brunessaux et Maurice Houlon